Visite au pays Beri d'autrefois

Visite guidée par Madame Marie-José Tubiana

Le pays Zaghawa offre tantôt l’aspect d’une vaste plaine sablonneuse dont  la monotonie n’est rompue que par quelques arêtes gréseuses se détachant en ocre sur le ciel pur, tantôt celui de chaînes montagneuse aux sommets aigus découpés en formes fantastiques, tantôt encore celui de hauts plateaux balayés par le vent où l’on aperçoit au loin de rares reliefs aux formes molles, basses et trapues qui se transforment quand on les approche en amas de rochers de garnit. Les cours d’eau sort présents sous formes de ravinements tapissés de sable clair, aux bords souvent escarpés. Leur lit parfois resserré, parfois large et pouvant même se diviser en plusieurs bras, est souligné d’arbres énormes, dont l’ombre plongent loin dans le sable à la recherche de l’eau souterraine. Aux mois de juillets et d’aoûts, après les pluies longtemps attendues, la rivière surgit brusquement: torrent d’eau trouble qui emportera tout pour disparaître aussi  soudainement qu’il est arrivé. L'ouadi ces lits de rivière a sec généralement.

La  grande ressource de cette zone où le sable s’allie aux rochers comme pour rendre le pays plus inhospitalier, c’est l’herbe. Une herbe qui surgit verte et épais dès les premières pluies mais qui devient vit sèche, jaune et coupante des que les pluies ont cessé et que le soleil règne de nouveau implacablement. C’est le domaine de la steppe, une steppe à graminées parsemée d’acacias rabougris et d’arbustes épineux. Quelques beaux arbres poussent dans les ouadis ou sur l’emplacement des mares. Ce sont d’énormes acacias, sous lesquels il fait bon faire halte à l’heure de la grosse chaleur et prés desquels on campe volontiers pour la nuit.

Dans les herbes vivent des gazelles, troupeaux peu craintifs et pourtant traqués par les chasseurs, des bandes d’autruches, d’innombrables lapins et pintades. Dans les amas de rochers se cachent les lions, les panthères,
les hyènes et les chacals qui, la nuit, viennent hurler auprès des villages et roder en quête de nourriture. Les maisons des hommes s’accrochent dans les cailloux et on a beaucoup de peine à distinguer leurs murs de terre qui sont de la couleur du sol ; seule la teinte brune des toits de paille attire le regard. Non loin des villages, dans le lit ou sur les bords des ouadis, un va-et-vient continuel de bêtes et de gens qui, à la tombée de la nuit, atteint son maximum d’intensité, signale les puits ; simples trous creusés dans le sable si l’eau est à fleur de terre, coffrés avec des rondins, lorsqu’elle se trouve à plusieurs mètres de profondeur.

Cette description du milieu zaghawa serait incomplète si l’on n’évoquait les grands troupeaux de vaches aperçus au milieu des herbes, passant seuls ou sous la conduite d’un jeune garçon vêtu d’une peau du mouton nouée sur l’épaule ; les caravanes de chameaux chargé de mil, de sel ou de dattes ; les théories interminables de gens parcourant les sentiers les jours de marché… Des femmes portent les tomates, les oignons ou les piments de leur jardin, le beurre de leur vaches, ou la bière de leur mil qu’elles viennent de fabriquer. Des hommes poussent devant eux quelques moutons ou chèvres, portent une pièce de tissu de contrebande sur l’épaule. A la nuit tombée, on verra un forgeron et ses enfants partant à la chasse aux gazelles avec leurs ânes, leurs chiens et leurs filets. C’est un chef qui déplace à cheval avec son escorte … C’est le voyageur solitaire qu’on salue de loin. Il est parti à pied pour rendre une visite, négocier un mariage, réclamer justice auprès du chef ou du faki, armé de son poignard de bras, de ses javelots et muni de la précieuse théière en fer émaillé bleu (made in Czechoslovakia).

Les troupeaux

Le  troupeau est la principale richesse de zaghawa. Il lui fournit le laid et la viande et aussi les peaux, dont on fait des vêtements, des chaussures, des couvertures,  des outres à grains et à eau, des cordes. C’est en échangeant ou en vendant des bêtes que l’on peut se procurer le complément de mil nécessaire, le thé, le sucre et les tissus. C’est le bien suprême, que l’on sacrifie pour demander la pluie, que l’on donne pour obtenir une fille en mariage, que l’on se partage (ou que l’on se dispute) lors des héritages et que les jeunes gens impatients de se marier vont voler chez les populations voisines, ajoutant ainsi un titre de gloire à leur jeune valeur. Les taureaux et les vaches occupent la première place. Les hommes ou les jeunes gens ont la charge de les conduire au pâturage et de les abreuver ; les femmes s’occupent seulement de traire le lait.

De juillet à octobre l’eau est abondante, les mares surgissent, l’herbe est bien verte, les troupeaux se dispersent alors vers les pâturages les plus éloignés ; puis ils vont se cantonnant autour des puits quand elle devient plus rare. Il y a cependant toujours une période de soudure difficile, vers le mois de mai et juin, moment ou le nombre des troupeaux massés autour d’un même puits est à l’origine de nombreux coups de poignard ou de javelot.Les moutons et les chèvres constituent également de gros troupeaux. Ce sont les femmes et les enfants qui en ont la charge. La nuit, les bêtes sont enformées dans un enclos ceinturé de murs de terre ou simplement d’un abattis d’épineux, à l’abri des chacals, des hyènes et des panthères. Le matin, les femmes font téter les chevreaux et  les agneaux ; puis elles confient le troupeau à jeune berger qui le conduit non loin  du village  et le ramène le soir. Les zaghawa élèvent également des chameaux comme bêtes de somme. Ces animaux peuvent rester de longues périodes sans boire, ils vont à la pâture assez bien loin des puits.

Chaque village compte cinq ou six chevaux qui appartiennent au chef et aux notables et des ânes en assez grande quantité : ce sont les montures des femmes et des forgerons. Anes et chevaux ne s’éloignent guère des maisons pour trouver leur nourriture. Cependant si s’occuper de son troupeau est la tâche journalière et favorite du zaghawa, elle n’est pas la seule. Il lui arrive, bien que cela ne lui plaise qu’à moitié, de cultiver du mil. En avril-mai, avant les premières pluies, il va sur les terres les plus favorables: terre sableuses ou bords des ouadis ; là, après avoir débroussaillé un champ, il l’ensemence en mettant quelques grains de mil dans un trou peu profond qu’il a creusé d’un coup de boue. Trois ou quatre mois plus tard, les femmes récolteront les premiers épis, les battront avec des fléaux de bois et engrangeront le grain dans de grands jarres et poterie crue qu’elles fabriquent elles-mêmes, et qu’elles placent soit à l’intérieur de leur maison, soit dehors, en le coiffant alors d’un toit de paille. 

Mais les Zaghawa cultivent peu le mil, ils recherchent dans les plantes de cueillettes une bonne part de leur alimentation ; ils connaissent une grande variété de céréales sauvages, de baies et  fruits comestibles. Les femmes, à qui ce travail incombe, abandonnent parfois leur foyer pendant plusieurs semaines pour aller faire leur récolte dans un endroit réputé riche en grains.  Le gibier est abondant et de véritables troupeaux de gazelles et d’antilopes peuplent la brousse. N’importe quel Zaghawa chasse à l’occasion  peut tuer une gazelle d’un coup de javelot ou de lance, ou lui briser les jarrets avec son couteau de jet. Mais il existe des hommes pour qui chasser est un métier: ce sont les forgerons. Ils posent des filets faits de tendons de gazelle, y rabattent le gibier en le poursuivant à dos d’âne avec leurs chiens, et anéantissant ainsi des troupeaux entiers. La viande de gazelle est vendue sur le marché soit fraîche, en quartiers, soit découpé en lanière et séchée. Les forgerons constituent une caste méprisée de tous. Ils vivent à l’écart du village et ne se marient qu’entre eux. Forgerons et chasseurs, ils sont aussi tanneurs et tisserands. Il n’y a pas d’autres artisans, ce sont eux enfin qui battent le tambour lors des danses. Leurs femmes sont potières et coiffeuses.

Les villages

Les Zaghawa construisent leurs villages permanents prés des amas de rochers qui pourront éventuellement servir de refuge en cas d’attaque. Ils préféraient, jusqu’à ces dernières années, à la proximité des puits les avantages d’une bonne position défensive. Chaque famille possède trois ou quatre maisons rondes aux murs de terre sur un soubassement de pierres, au toit conique de paille. Ces « case » se trouvent à l’intérieur d’un enclos,  succession de courettes que ferme un mur de terre fréquemment hérissé de petites défenses de bois. L’enclos familial n’abrite pas seulement les « cases » mais aussi l’aire où l’on fait sécher le malt de mil et celle où les femmes s’assoient le soir, pour bavarder, devant le seuil de leurs demeures. On y trouve les greniers extérieur, qui sont autant de cases en miniature, les selles des chameaux, des chevaux et des ânes, les javelots, que l’on laisse appuyé contre le toit quand on pénètre à l’intérieur et enfin toutes sortes d’objets en cuir, en bois, en peau ou en argile, qui constituent l’essentiel d mobilier zaghawa.

Dans ces maisons, nulle ouverture laissant pénétrer la lumière ou s’échapper la fumée, si ce n’est une porte basse, que l’on franchit accroupi. On la ferme, lorsqu’on part en voyage, par des bûches entassées horizontalement  derrière deux piquets verticaux. Lorsque les yeux se sont habitués à l’obscurité, la première chose que l’on distingue ce sont les grandes jarres de plus d’une mère cinquante de haut où les femmes ont emmagasiné le mil et les graines de cueillette. Chaque case de femme compte au moins trois ou quatre de ces greniers qui, accolés, forment une cloison séparant la chambre, avec son lit de terre battue et ses couvertures en peau de mouton, de la cuisine ou se trouvent le foyer fait de trois pierres, la pierre à moudre, et toutes sortes de vanneries et de poteries servant d’ustensiles de cuisine.

La gastronomie

La préparation de la nourriture, dont l’essentiel est constitué par une bouillie de mil, ou à défaut, de graines : absabé, kreb, occupe une grande partie de la journée d’une femme. Il faut piler le grain dans le mortier, l’écraser sur la pierre à moudre pour le réduire en farine, faire cuir la bouillie et jetant la farine dans l’eau bouillante et en la tournant sans cesse jusqu’à ce qu’elle ait la consistance voulue ; il faut ensuite préparer la sauce qui accompagnera cette bouillé fade et épaisse. Il y a toutes sortes de sauces où entrent presque toujours oignons, gombo, tomates sèches et piments ; dans les bons jours on y ajoute de la viande séchée et pilée. Mais le matin la bouillie sera mangée sans sauce, accompagnée de lait frais ou aigre. On boit du thé très fort et très sucré, dés qu’on a l’argent pour se procurer thé et sucre, et de la bière de mil (parfois en surprenante quantité !). L’homme s’occupe de ses bêtes, de son champ de mil, ou bien part à chameau faire un de ces interminables voyages commerciaux qui le tiennent éloigné de chez lui pendant un mois, peut-être deux, peut-être davantage encore

Les Zaghawa furent islamisés tardivement, et encore maintenant l’islam n’a pu oblitérer toutes les coutumes anciennes malgré le zèle des faki – lettré qui enseignent  le Coran. Certains rituels agraires sont encore pratiqués : sacrifice d’une brebis pour demander la pluie, sang d’un animal sacrifié répandu sur les houes avant les semailles, etc. On n’hésite pas, encore aujourd’hui à demander la destitution d’un chef si celui-ci n’est pas capable de faire tomber la pluie chaque année, comme c’est son devoir. Les sacrifices qui avaient lieu lors de l’intronisation des chefs ont été abandonnés depuis peu, mais le souvenir en demeure très vivace.

Commentaires des auteurs

L’impression que nous avons retirée d’une vie partagée durant un an avec les Zaghawa est celle de gens parfaitement adaptés. Ils ont une connaissance profonde de toutes les ressources que leur offre le milieu naturel et savent en tirer le maximum. Il n’existe pas de plainte qui leur soit inconnue, et dont ils ne sachent utiliser toutes les propriétés alimentaire, médicinales ou autres ; il n’existe pas de bête dont ils ne connaissent les habitudes ; il n’existe des puits dont ils ne connaissent la profondeur, la quantité de l’eau, l’époque ou il est tari ; pas de sentier dont ils ne sachent où il va. Cette maîtrise du milieu leur donne une grande indépendance. C’est cela qui fait d’eux des hommes pauvres mais fiers : des hommes libres. Leur isolement, leur dénouement même, en fait aussi des hommes durs, qui n’hésitent pas à venger d’un coup de poignard la moindre injure. A cela s’allie une certaine philosophie de la vie ; ils savent que les petits ont souvent tort devant les puissants, qu’il ne faut pas dédaigner la ruse pour arriver à survivre. Cette sagesse s’exprime dans les contes zaghawa: (obu tey, paroles de grand-mère)..." 


Marie José Tubiana